Kings of War, FTA 2018, la fulgurance fugace du pouvoir


©_Jan-Versweyveld

     Kings of War est une condensation de 5 pièces de Shakespeare, soit "Henry V", Henry VI (1ère, 2ème et 3ème parties), et Richard III. Un tour de force de quatre heures trente que réussi Ivo van Hove (avec la collaboration de Bart van den Eynde et Peter van Kraaij à l'adaptation du texte) en éliminant tout le superflu des textes du barde (scènes de combat et autres distractions). Pari lancé. Tenu? Oui, heureusement. On navigue ici en haute atmosphère. Tout ce qui est dit revêt donc une importance primordiale, puisque chaque réplique retenue pour cet écrémé doit tenir la route.

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     Que dire de la distribution, sinon que l'on a affaire à de l'igéniosité à l'état pur. Chaque comédien est appelé à jouer une multitude de rôles, les distributions de chacune de ces pièces étant fort imposantes en tant que telles. Donc, au début de chacun de ces "chapitres" (Henry V, Henry VI et Richard III), van Hove introduit chaque personnage au moyen du couronnement du souverain, chacun défilant derrière celui-ci. Et, grâce à l'accompagnement vidéo, chaque protagoniste est dûment identifié à sa traîne. 

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     L'arrière-scène est remarquablement exploité via ce médium vidéo. Un entremêlement de couloirs blancs, dénudés, permet des passations dramatiques pour le moins heureux, voire géniaux. La scène comme telle représente un quartier général, un salon, une salle à manger, au gré des arrangements scéniques. Au fur et à mesure que la pièce se déploie, tout ce décor se minimalise de plus en plus, pour en finir avec un espace dénudé totalement, reflétant l'isolement de Richard III. Du grand travail conceptuel. Le pouvoir absolu corrompt absolument, et érode d'autant plus l'entourage des ambitieux. Telle sera la leçon durement apprise par la couronne britannique. 

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      Ce qui touche le plus dans ce déploiement à grande échelle (selon nos critères québécois) est l'extravagance de la richesse imaginative du Toneelgroep Amsterdam. Recréer, avec une économie de moyen, l'univers complexe de cette Guerre des Roses où s'affrontèrent Lancaster et York, traduire cette richesse narrative en une trame écourtée et réutiliser chaque comédien à plusieurs emplois (je sais, nous savons le faire ici aussi, mais avec tant de comédiens? On reste aujourd'hui loin de "Vie et mort du Roi Boiteux" qui vaudrait certes une belle résurrection...

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     Il s'agit, selon moi, d'une des pièces phares de ce FTA. Je sais, on n'en est qu'à ses premiers balbutiements, mais l'ampleur narrative et symbolique, la charge dramatique et la complexité des textes (lorsque l'on se base sur Shakespeare, difficile de demander mieux en terme de classiques), la barre est fixée à une hauteur telle que si une portion des performances à venir y accèdent, nous aurons droit à un festival du tonnerre. Merci FTA 

     Détail à remarquer: dans le communiqué de presse accompagnant cette pièce, l'on dit que "...les trois souverains (Henry V, Henry VI et Richard III) , ..., issus de la même dynastie que la reine Élizabeth II qui nous gouverne". Or cette affirmation est historiquement fausse. Les trois souverains en question appartenaient à la dynastie des Plantagenet, à laquelle succéda celle des Tudor, puis des Stuart, des Hannover, et finalement celle des Windsor (Saxe-Cobourg et Gotha), à laquelle appartient Élizabeth II. Que pareille ineptie s'insère dans un communiqué de presse officiel paraît quelque peu amateur, qu'on se le dise tout bas, entre nous initiés de la Grande Culture, celle qui est prise d'assaut par les midinettes à iPods, à la culture à piles rechargeables et à mémoire à l'orange mécanique...

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