Festival Fringe St-Ambroise Montréal 2018: mes coups de coeur


par Luc Archambault


     Cette édition du Festival Fringe a recelé de perles assez mémorables. Thématiques variées, quelques spectacles se sont faufilés hors de toute attente, en plus des valeurs sûres, comme Kafka's Metamorphosis, par The Shylock Project, qui viennent capturer année après année nos imaginaires avec leurs investigations profondes et structurées sur des artistes connus, certes, mais dont cette troupe sait faire ressortir des bribes d'informations inédites, ou inexplorées. Du merveilleux travail! 

Tarot Live!

Photographe: Daniel Miguez De Luca

      AAA Tarot ne réinvente pas la roue avec ce spectacle. Un tarologue, Jesse Strong, qui fait des tirages publics "sur" des membres de l'auditoire qui veulent bien se prêter au jeu. Simple? Non. Moult amateurs, voire des mauvais communicateurs, se seraient cassé les dents sur un tel concept. Mais Jesse se démarque par son empathie, sa compréhension et sa maîtrise du tarot. Il sait lire tant ses participants que la salle, en révélant (ou non?) ce qu'il perçoit dans les fumées de l'avenir. Est-il doué dans les arts divinatoires? En entrevue avant le début du Fringe, il avoua avoir été toujours attiré par cet art ésotérique. Mais, plus qu'une simple lecture, il faut savoir bien communiquer avec l'auditoire. Et cette particularité, il la possède, à merveille. Si je peux me permettre de sonder les brumes de l'avenir, je vois un succès grandissant pour cet artiste du tarot, des consultations payantes et des salles de plus en plus grosses. Bref, j'entrevois une réussite totale et idéale pour Jesse Strong. Chapeau!

Planétarium

Photographe: Marie Ayotte

     Ici, le Théâtre Globe Bulle Rouge, sous la direction (et l'inspiration) de Marie Ayotte, nous propose un voyage métaphysique surprenant. Je dois avouer avoir été initialement quelque peu ennuyé par ce texte, lourd et récité lentement. Mais le brio des interprètes (sur la photo, de gauche à droite: Andrée-Anne Giguère, Émanuelle Caron, Mélanie Michaud) ont su insuffler à ce texte un brin pataud une intelligence et surtout une émotion tangible. Portant sur l'anxiété de vivre, sur la pression du succès et de l'échec, de l'acceptation de soi face, et surtout au travers, des épreuves qui pimentent nos vies, ces trois magiciennes m'ont fait frissonner par leur candeur et leur sagesse, leur innocence et leur vécu, par toutes ces qualités opposées et complémentaires à la fois. Surtout lorsqu'elles sont montées dans l'assistance et nous ont sussuré presque intimement un message d'espoir et d'acceptation... j'en tremble encore! Un concept plus qu'intéressant, à explorer plus à fond, à approfondir encore plus... peut-être changer la forme, celle du théâtre à l'italienne ne convenant pas à une immersion plus grande entre les interprètes et l'auditoire. Au moins, adopter une forme élisabéthaine où le 4ème mur se dissous quelque peu, voire proposer l'utilisation d'une salle de danse, où l'auditoire serait entièrement inséré dans l'espace scénique... que de possibilité avec un texte aussi inspirant, et avec des interprètes aussi magnifiques!

 Is that how Clowns have Sex?

Photographe: Pascale Yensen

     Fiona Ross incarne Beatrice Haven, une sexperte un peu gauche, dans ce spectacle qui se veut un cours d'éducation sexuelle loufoque et très partiel. J'aurais aimé qu'elle aille plus loin, beaucoup plus loin, tant dans son propos que dans ses démonstrations... M'enfin. Un petit bijou quand même, mais qui aurait pu souffler toute critique en misant sur la démesure et la provocation... c'en est presque dommage, car on frôle ici la déception, en dépit du caractère ludique de cette performance inoubliable... !!!!  


 b & M: la mort de boKa et Mazy

Photographe: Louis Longpré 

     Le couple de clowns le plus aimé du Fringe, boKa et Mazy, dans ce qui semble être leur chant du cygne... encore cette année, l'ordre et le classement des biens matériels les préoccupent, mais cette fois-ci la conclusion est quelque peu plus sombre. Assiste-t-on à la pénultième performance de ce couple sur nos planches? Il est à espérer que non... car leur candeur et leur espièglerie vont nous manquer, au travers de toutes ces représentations plus sombres qui hantent ce Festival. 

Photographe: Louis Longpré

     Parce que ce qui caractérise boKa et Mazy est justement leur caractère bon enfant, leur émerveillement, et la joie qu'ils partagent visiblement à jouer l'un avec l'autre. En espérant donc qu'ils croient à la résurrection des corps, pour que Kathleen Aubert et Simon Fleury nous reviennent l'an prochain avec une nouvelle mouture des aventures de boKa et Mazy, qu'ils se renouvellent et rallument la flamme qui les a alimentés toutes ces années passées... sinon, que sera le Fringe sans leur apport bon enfant?    


 Red Bastard: Lie with me

Photographe: Steve Ullathorne

     Lorsque je parlais dans mon introduction de spectacles qui se sont révélés être des surprises totales, je pensais à ce Red Bastard, dont j'ai vu l'ultime représentation. Heureusement, le mot s'était préalablement répandu, sans mon apport, et la salle était pleine. 
     Qui est Red Bastard? Un ange, un démon? Ou, selon les catégories qu'il emploie pendant ce spectacle hors-norme, un cygne, un poney lubrique, ou un pervers? Qui qu'il soit, il est incarné par Eric Davis, et possède un sens de la répartie hors du commun. Le sujet: mais quel autre sujet que l'amour nous obsède tous? Et ce Bâtard rouge de mettre le doigt sur cette plaie béante, quite à l'enfoncer le plus loin possible, au mépris (non, au plaisir mal-avoué) de l'inconfort que ses questions génèrent dans une assistance complètement médusée.  

Photographe: Fringe 2018

     Parce que ce diablotin sait comment tourner le fer dans cette plaie. Lorsqu'il questionne la moralité et l'expression de la luxure dans le sentiment amoureux, qu'il remet en question les limites de la vérité et de la transparence inhérentes à tout couple qui se respecte, il le fait avec un sans-gêne et un sang-froid qui évoque des qualités à la fois de funambule/fou du roi et de psychothérapeute. Il ne propose aucun jugement autre que nous sommes tous des menteurs, tous sans aucune exception. 


Photographe: Bernard Letendre

     Et, franchement, sans ce spectacle complètement déjanté, cette édition du Fringe aurait semblé incomplète, imparfaite. Car Red Bastard vient nous confronter à nos valeurs, et surtout au flou conceptuel sur lequel celles-ci se basent. Et il le fait avec un délice et une joie qu'il assume entièrement. Comme ce spectacle dépend hautement de la réaction du public, il me faut vanter les talents d'improvisateur d'Eric Davis, qui ne manque jamais de pousser l'inertie de son public captif de ses moindres itérations dans la direction choisie d'entrée de jeu. Du grand Art, un immense spectacle, un plaisir et surtout un honneur que d'avoir assisté à ce chef d'oeuvre. 

     Voilà, tels furent mes coups de coeur de ce Fringe 2018. Sans oublier, bien entendu, American Miracle - On pense toujours que les idiots sont idiots jusqu'à ce qu'ils soient exceptionnels, de la magistrale Rosalie Dell'Aniello, analysée dans un article précédent. Je tiens à remercier toute l'équipe du Fringe, notamment Amy Blackmore, directrice générale, qui a su me rattraper après un faux départ; Véronick Raymond, Porte-parole de l'édition 2018, qui m'a rencontré et a discuté avec moi de théâtre, de l'histoire du Fringe et de sa vision de l'art de la performance, qui aurait normalement dû se transposer en un article pertinent mais qui a malencontreusement été passé sous le tapis ( je m'en excuse); Sarah G. LaForce, directrice des relations publiques, pour sa patience et sa dévotion; et finalement Geneviève Plante, directrice des communications francophones, pour sa compétence et sa dévotion, en dépit de mon impatience (I am truly sorry!). 

Longue vie au Fringe!





Commentaires

Articles les plus consultés