La vie utile (FTA 2018) : une liste inutile


     par Luc Archambault


©_Caroline-Laberge

      Evelyne de la Chenelière est une grande dramaturge. L'une des fleurons de nos scènes. Son génie est acclamé ici comme ailleurs. Est-ce à dire qu'elle est sans taches? Sans faute, sans péché originel? En ce FTA des plus moyens, pas étonnant que même ce météore s'écrase au raz des pâquerettes. Elle n'aura que suivi la tendance lourde, en cette année de plomb.


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     Peut-être est-ce moi le fautif dans cette histoire. Peut-être mon imaginaire tordu, mon vécu à l'emporte-pièce, mon historique familial en décomposition ne me prédisposait pas à une réception optimale de cette pièce. Quoi qu'il en soit, je demeure persuadé qu'à trop encenser le génie de madame de la Chenelière, on l'ait menée hors de ses ornières théâtrales. Qu'on l'ait poussée à amalgamer poésie et théâtre en un mélange certes fort en potentiel mais à haut risque de ne péter qu'à titre de pétard à la farine (comme les appréciait fort Bobinette et un tantinet moins Bobino/Sanche, son illustrissime frérot).

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     Car, à trop remplis les murs de l'Espace Go de sa "poésie", une longue liste de termes qui lui sont chers (la poésie, en tant que telle, ne se discute pas. Les choix des divers auteurs restent au-dessus de toute critique; comme Icare, certain(e)s frôlent l'astre du jour et leurs ailes de fondre, les précipitant prestement vers le plancher des vaches; d'autres, les plus chanceux, iront ensemencer la Lune et les étoiles). Un exercice de haut vol. Mais cet exercice hautement visuel et solitaire ne se traduit malheureusement pas, ou mal, en texte théâtral. Je comprends l'engouement d'Evelyne de la Chenelière et de Marie Brassard; mais ce texte n'est pas, je le répète, n'est pas du théâtre. À moins de compter les innombrables listes d'épicerie qui transitent par les Maxis et Provigos de cette province qui n'est pas un pays comme autant de chefs-d'oeuvres dramaturgiques. 

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     Au niveau de la mise en scène, rien de bien négatif à noter, si ce n'est de la voix électronique affublée à Christine Beaulieu. Un artifice d'une facilité abyssale. Mais, fort heureusement, le seul pépin côté mise en scène. Un décor vaguement organique, utérin même. Un beau stratagème pour imaginer les pénultièmes moments d'une auteure de talent.

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      Car loin de moi l'idée de remettre en cause la talent et le génie de madame de la Chenelière. Seulement, le choix plus que discutable d'inclure cette "pièce" au sein d'un FTA qui, au bout du compte, semble vaciller sous ses propres certitudes de succès et d'avant-garde, au mépris des règles de l'art. Je sais, un festival hautement authentique se doit de pousser la mise et de frôler la chromosphère solaire, quitte à chuter tel un Icare post-moderne. Mais on dirait que cette année, les bourbes s'accumulent et s'enchaînent. Et cette variation qualitative m'inquiète particulièrement. Pour cette pièce-ci, je m'imagine facilement que l'on ait donné carte blanche au duo de la Chenelière-Brassard, sans aucun droit de regard. Alors que dans 90% des cas ce duo aurait dépassé l'orbite lunaire, dans ce cas-ci l'on ne s'est même pas échappé de la basse orbite terrestre. Se sont-elles prises au piège de la liberté d'expression totale de la poésie? Furent-elles englouties par la quête de sens inhérente à la recherche toujours plus fine d'une lexicologie propre à un imaginaire incandescent? Au point d'en oublier (volontairement ou pas) les règles de base de toute dramaturgie qui se respecte? N'est pas dramaturge qui veut, et cette règle s'applique aussi à la poésie. Aussi talentueux soit-on.

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